Tag Archives: ligatures

Eszett et cætera

19 Mai

Le 04 avril dernier, une figure bien singulière de la typographie fêtait un anniversaire particulier : il y a 4 ans, le Eszett capital faisait son entrée dans le standard Unicode (Version 5.1 à l’époque), système et norme informatique de codification des caractères, permettant leur utilisation et partage à travers le monde et les différents langages. Un nouveau chapitre pour l’alphabet germanophone.

L’arrivée de cette « nouvelle » lettre a soulevé pas mal de questions, permettant de partir à la découverte de ce caractère si emblématique.

PUISQUE  jusqu’à présent, on s’était toujours débrouillé sans : était-ce bien nécessaire? Mais surtout, avant de se poser cette question-ci, ce qu’on s’est demandé, c’est pourquoi n’y avait-il pas eu de capitale auparavant? Ça paraît assez évident : le Eszett n’est jamais situé en première lettre de mot, une capitale n’était donc pas indispensable!

SAUF que lorsqu’on l’utilisait dans un mot ou une phrase toute en capitale, on était face à un manque, et les moyens du bord consistaient à le remplacer par un double S ou un Eszett bas de casse. Pas trop contraignant jusque-là.

OUI MAIS imaginez qu’un Eszett se trouve dans votre nom de famille : là, il y a un problème! Meissner et Meißner, ou plutôt MEISSNER et MEIẞNER, ce n’est pas la même personne. Les noms propres : le champ d’application où le Eszett capital a trouvé son véritable sens.

Voila qui comble une lacune de l’écriture germanophone! Il a officiellement remplacé le double S pour  l’écriture des entités géographiques et des noms propres en général. Son usage a d’ailleurs été rendu systématique par la Ständige Ausschuss für geographische Namen. Le double S est valable en tant qu’alternative uniquement si la série typographique utilisée ne comporte pas de Eszett capital.

Depuis cette date, le Eszett capital a été intégré dans presque 200 séries typographiques, parmi lesquelles les plus répandues dans les systèmes d’exploitation, et dans la suite Office (Times New Roman, Arial, Verdana, …).

le Eszett capital chez Microsoft

Cet effort a été salué par beaucoup d’utilisateurs, entrepreneurs et institutions qui depuis l’utilisent régulièrement. Il a même été intégré dans les fontes BundesSans und BundesSerif, série dessinée pour l’identité visuelle du Gouvernement fédéral allemand.

Au départ un peu réticents, Jürgen Huber et Martin Wenzel de MetaDesign (studio chargé de la composition de la série Bundes) ont confié lors d’une interview donnée à typografie.info (le site germanophone de référence en la matière) qu’ « en fin de compte, une série typographique dessinée pour le Gouvernement fédéral allemand sans la version capitale de la lettre
qui fait la spécificité de cet alphabet aurait tout de même été un travail incomplet ».

Le Eszett en Bundesserif et Bundessans de MetaDesign © typografie.info

Pas mal de reproches ont été adressé au Eszett capital : sa création serait superflue, le dessin du caractère ne serait pas optimal pour la lecture, il ressemblerait trop à un B majuscule… Il a ses détracteurs et ses défenseurs. Je suis résolument pour, ne serait-ce que pour l’adéquation du couple bas de casse/capitale, mais j’avoue que je trouvais assez poétique cette petite lettre sans capitale, qui fait le charme de l’alphabet germanophone et éveille la curiosité des personnes ne parlant pas l’Allemand.

Alors : Zum Geburtstag viel Glück, Versal-Eszett . Ok. Mais au fait, c’est quoi un Eszett à l’origine?

Le Eszett dans l’alphabet germanophone correspond techniquement à un double s. Il s’agit en fait d’une ligature du s long (milieu de mot) —parfois du z aussi : ſʒ (ſz)— et du s final (fin de mot) : ſs. D’ailleurs, le nom Eszett, ça n’est rien d’autre que les lettres s et z en langue allemande. Le double s ou le sz étaient à l’origine deux sons différents qui ont fini par devenir semblables. Les frères Grimm, à qui on doit aussi le dictionnaire de la langue allemande (fin du XIXe siècle), soutenaient que le Eszett dérive de la contraction du s et du z, comme nous le rappelle cette bonne vieille Jeanette Konrad, dans l’émission Karambolage du 14 janvier 2007. De plus ces deux ligatures se ressemblent beaucoup en Fraktur (qu’on appelle à tort « écriture gothique »), d’où la confusion.

ſ + s (ou z) = ß

Ligatures ss et sz : le mystère du Eszett © pincetonfrancais.be

Quand on regarde les panneaux de rue en Allemagne, le Eszett apparaît tantôt très nettement comme une ligature sz, tantôt comme le Eszett auquel nous sommes plus habitués.

Panneaux de rue à Berlin : Eszett et ligatures

On l’utilise derrière une voyelle longue ou une diphtongue, le double s étant utilisé après une voyelle courte. La réforme de l’orthographe allemande de 1996 (obligatoire depuis 2005) a permis de corriger quelques irrégularités dans l’utilisation du Eszett. Avant la réforme, on n’écrivait le double s qu’entre 2 voyelles. Un mot se terminant par un double s, comme der Fluss (le fleuve), s’écrivait alors der Fluß, bien que la voyelle soit dans ce cas courte. Depuis la réforme, il s’écrit der Fluss. La réforme de 1996 supprime l’irrégularité entre singulier et pluriel, puisque sous l’ancienne orthographe, la forme plurielle de der Fluß était quand même die Flüsse, qui s’écrit elle avec double s puisque le e, marque du pluriel, fait que le double s n’est plus à la fin du mot.

Vous en perdez votre latin? Dans ce cas là, tournez-vous vers la Suisse et le Lichtenstein, qui l’ont abolit dans les années 1930.

Pour copier-coller le Eszett capital, rendez-vous sur le site qui lui est dédié : versaleszett.de.

Vous pouvez aussi voir des spécimens de Eszett capital.

Cet article ne serait pas complet sans un rappel à propos de la 17e édition de Typo Berlin , qui a démarré jeudi 17 mais et se termine aujourd’hui, samedi 19 mai. Vous pouvez suivre l’événement live sur ARTE Creative.

Typo Berlin 2012 et Cannes me voulait, mais je les ai snobés pour écrire cet article.