Cher lecteur sporadique,
J’espère que tes vacances se sont bien passées, petit chanceux. Pas trop nostalgique ? Cet été, j’ai fait partie de ceux qui ont décidé de ne pas partir, pour cause de pas de jours de congés. Une expérience qui a radicalement changé ma vision du monde et mon rapport avec les êtres qui m’entourent, ça va de soi. J’en ai profité pour buller, mouler, me la couler douce… et rêver de voyage bien sûr.
L’ambiance « aéroport » m’a un peu manquée, je dois dire. J’espère que de ton côté, tu as eu le temps de perdre et retrouver ton chemin dans de grands aéroports internationaux.
Par exemple, si tu es allé à Vienne, destination hautement tropicale, tu n’as pas pu passer à côté de l’architecture du nouveau terminal de l’aéroport. Je sais déjà que tu t’es régalé de tous les détails graphiques et architecturaux de cet immense projet. Pas la peine de le nier.
Viennoiseries et autres gourmandises
L’inauguration le 5 juin dernier s’est bien passée, je te remercie. Ce cher Ruedi doit être bien soulagé, après 8 ans de travail, de voir enfin le bébé prendre son envol (champ lexical de l’aviation, à toutes les sauces). Le projet en lui même a un peu battu de l’aile, puisque la fin du chantier était prévue pour 2008. Bien sûr, ça a entraîné pas mal de frais supplémentaires, mais bon : « c’est les vacances ! », on a bien le droit de dépenser 400 millions d’euros en plus, non ?
Ruedi a travaillé avec le cabinet d’archi Itten-Brechbühl/Baumschlager-Eberle et Eva Kubinyi, chef de projet, en charge du graphisme et de la signalétique. Les talents de Susanna Fritscher ont été sollicités pour la réalisation d’installations artistiques en liaison avec la signalétique. Notre ami David, a créé les extensions de la typographie Fedra Sans : pictogrammes et version pixelisée pour – le clou du spectacle – LE support d’information clé, qui se matérialise par un mur à affichage lumineux en LED d’une cinquante de mètres de long.
Pour une vraie liste détaillée de « qui-a-fait-quoi » dans ce projet, tu ne manqueras pas de te reporter au bas de cet article.
De loin, comme ça, vite fait, « ça marche bien ! » ©.
Comme tu t’en doutes, un des enjeux dans un projet de signalétique se porte sur cette notion d’espaces publics et à ce propos Ruedi Bauer avait le souhait de faire sortir le lieu d’un anonymat certain et même d’un « pseudo internationalisme » (source). Il faut informer et orienter sans saturer d’informations pour conserver une atmosphère d’apesanteur (insérer ici l’équation aéroport = avion = ciel = voler = liberté = légèreté).
- développer un langage visuel identifiant basé sur la police de caractères « Fedra Sans » conçue par Peter Bilak, choisie à la fois pour des raisons esthétiques et fonctionnelles (tous les accents des langues d’Europe centrale y figurent).
- créer un système exclusif de pictogrammes intégrant la dimension de lecture internationale à la question de l’atmosphère et du style graphique, travaillée à partir de contrastes de translucidité suggérant une certaine douceur.
- concevoir des supports de signalétique qui traduisent une impression de légèreté, de flou, comme l’envol d’un avion dans le ciel.
- prendre en compte et traiter graphiquement l’ensemble de la chaîne d’informations (signalétique directionnelle et d’identification, points d’information, informations dynamiques concernant les arrivés et départs, plans de situation, signalétique réglementaire, etc).
Ami lecteur, je ne vais pas m’attarder sur l’architecture, mon intérêt se situant plutôt, comme tu le sais déjà, dans le système signalétique. Et là : patatra ! Atterrissage d’urgence.
Mayday mayday
Dans un article de son blog où il s’est attardé dans le lieu, Titus Nemeth a répertorié pour toi, lecteur pressé, les éléments qui ont fait polémique et qui conduisent à finalement prendre la réussite de ce projet avec des pincettes, en plus de relancer le débat « a-t-on privilégié le style et l’élégance à la fonctionnalité ? ».
Car voilà : les panneaux sont parfois eux-mêmes sur fond blanc, et du coup, leur présence n’est pas d’une évidence qui crève les yeux. L’usage des blancs est un peu exagéré sur certains panneaux, laissant une désagréable sensation de flottement.
Les pictos ont été placés sur des fonds pastels. Le blanc et les couleurs claires, c’est certes relaxant, mais pour se repérer à la vitesse de la lumière, ça peut poser problème. Les installations sensées révélées de jeux de transparence et de lumière nuisent elles aussi à la lisibilité optimale.
Le mur LED, curiosité technologique, a quant à lui déçu, sa lisibilité étant compromise par la présence d’un gros reflet lumineux qui fait tache. C’est bâlo !
Rien que pour vos yeux
Fidèle lecteur, tu as parfaitement le droit de te dire que les designers chipotent un peu. Hé bien figure-toi qu’une autre population s’est elle aussi sentie déboussolée par ce nouveau système et a attiré l’attention sur les nombreux problèmes de lisibilité : les mal-voyants autrichiens. Après ses recherches, le Dr. Elmar Fürst a conclu : « Hier hat man fast alles falsch gemacht, was man falsch machen kann!« . Traduction : presque tout ce qu’on pouvait faire de mauvais a été fait. Entre les numéros de porte trop petits, le manque de contraste, les écrans d’information placés trop haut, et le fameux reflet sur l’affichage lumineux (clique ici pour voir les photos de la recherche de Fürst et lire ses conclusions en allemand), les mal-voyants n’y trouvent pas du tout leur compte, et il y a fort à parier que les personnes bien voyantes avec un sens de l’orientation tellement proche de zéro que la simple idée d’aller à l’aéroport fait paniquer (je veux bien être leur porte-parole), fassent les mêmes observations.
En tant que porte-parole auto-proclamé de la catégorie de personne mentionnée ci-dessus, je suis prête à me sacrifier pour continuer l’investigation. Très cher lecteur et ami de toujours, je fais donc appel à ta générosité afin de m’envoler vers Vienne le plus vite possible.
En attendant, tu trouveras ici la liste des pires terminaux d’aéroport et ici, la bédé que tu aurais du lire cet été pour ne pas rater tes vacances (et ta vie), histoire de t’évader dans les hautes sphères spirituelles.
Bien à toi lecteur, et bonne rentrée mon lapin! Poutoux.
*PS : Je sais que tu n’auras pas manquer cette référence au remix d’Heroes de Kruder & Dorfmeister en tête d’article. Sacré toi. Tu me connais si bien, je ne pouvais décemment pas écrire un article sur l’aéroport de Vienne sans référence à ce classique lounge autrichien.
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