Eleudeutéeuèra*

27 Oct

J’ai trouvé chez Emmaüs, dans un état calamiteux, une machine à écrire Olivetti Lettera 22 bleue et je l’ai achetée. I HAVE NO IDEA WHAT I’M DOING.

Une Olivetti Lettera 22 en piteux état

Jugez vous-même de l’état misérable de la bête

Je me suis agenouillée pour ouvrir la mallette en piteux état. Juste par curiosité j’ai demandé le prix de l’objet. J’ai pas tout de suite compris le type d’Emmaüs : «pfff… ça ? (truc incompréhensible)inq euros». Une dame derrière moi dans la queue a poussé un «oooooooh ! Une Olivetti !» (elle avait des petites paillettes dans les yeux). Ça m’a fait tiqué. «Combien vous m’avez dit ?». Cinq euros. CINQ BALLES ? Adjugé vendu à la petite dame qui ne sait pas du tout ce qu’elle va en faire mais est quand même bien contente de la trouvaille (c’est moi la petite dame).

(Pour info : un modèle fonctionnel en bon état avec tous les accessoires peut se trouver à 200€ sur eBay.)

Évidemment, à peine rentrée, j’ai tout voulu savoir sur cette machine improbable. J’en suis restée baba : j’avais entre les mains une des stars des machines à écrire.

Olivetti Lettera 22 de profil

La voici sous un meilleur profil

Le nom Olivetti est associé à quelques uns des modèles de machines à écrire les plus célèbres dans le monde. L’Olivetti Lettera 22 est un modèle phare de machine à écrire portative des années 50. Conçue par Marcello Nizzoli (1887-1969) en 1950 pour la firme italienne, elle est l’un des plus grands succès de son fabricant. L’année précédente, Olivetti a sorti la machine à calculer Summa 15, également designée par Nizzoli, en collaboration avec l’ingénieur Giuseppe Beccio, avec qui Nizzoli a également travaillé en tandem sur plusieurs produits Olivetti (néanmoins un autre nom fait son apparition pour la Summa 15, celui de Natale Capellaro). On retrouve le binôme Nizzoli/Beccio aux manettes de la conception d’autres modèles de machines à écrire célèbres d’Olivetti durant les années 50 : la Lexikon 80,  la Studio 44. Nizzoli a également joué un rôle dans l’architecture des bâtiments Olivetti (siège historique et Palazzo Uffici 1 à Ivrée, ville d’implantation de la société).

Marcello Nizzoli devant un de ses modèles Olivetti

Marcello, c’est toi le plus beau (ici avec une Olivetti 82)

La Lettera 22 pèse environ 4 kg pour des dimensions de 8,3 x 29,8 x 32,4 cm. Elle propose la police de caractère Elite. Elle est disponible (principalement) en bleu et en olive. Le modèle est si emblématique que le MoMa de New York en possède une dans sa collection permanente.

Toute guillerette de cette bonne trouvaille, je n’avais qu’une hâte : la tester ! Marche-t-elle, marche-t-elle pas : comment le savoir ? Quand on a jamais posé les doigts sur les touches d’un clavier de machine à écrire, par où commencer ? C’est quoi ce truc ? Et il manquerait pas un bidule là..? Après un détour indispensable sur YouTube afin d’appréhender les bases, je me suis rendu compte qu’il allait falloir dompter la bête. Dès les premières secondes de prises en main maladroite, j’ai eu du mal à contrôler ma joie à la limite de l’étranglement lorsqu’a retentit le petit ding de la clochette annonçant les marges ! J’ÉTAIS CONQUISE. Je commençais à peine à entrevoir la suite des étapes du nettoyage et de réparation, quand je fis LA découverte qui me permit de franchir un pas de plus dans l’appropriation de l’engin : le manuel d’époque en anglais, objet d’art à lui seul, mis à disposition par un certaine edcornish (à qui j’écrirai sûrement bientôt un poème de remerciements) sur son compte flickr. En plus de schémas d’une rare beauté, ce dernier comporte des exercices d’utilisation de la machine.

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Les fonctionnalités top-moumoute de ce modèle sont la possibilité de passer d’une encre noire à une encre rouge (le ruban est divisé en 2 couleurs horizontalement sur toute sa longueur et lorsqu’on appuie sur la touche prévue à cet effet, il est surélevé afin que les lettres viennent taper dans la zone de couleur rouge) et la possibilité de créer ses propres tabulations (et donc de faire de chouettes tableaux). Avouez que niveau dactylographie, c’est la classe.

Après une soirée à parcourir le guide d’utilisation sous la tutelle et le regard étonné d’une experte ayant un jour eu sous ses doigts les touches du clavier d’une machine à écrire (j’ai nommé ma mère), à replacer le ruban, à faire les quelques exercices présents dans le manuel, j’entame fièrement l’étape suivante : le nettoyage et la réparation. Vu l’état dans lequel je l’ai trouvée, il aurait été miraculeux qu’elle n’ait subi aucune casse. Le levier de l’interligne a disparu, empêchant le saut de ligne au retour du charriot. Le saut se fait donc manuellement pour l’instant.

Anecdote Time Capsule : Dans la mallette (en ruine) j’ai retrouvé des brouillons en papier carbone de courriers administratifs adressés par un particulier français (parisien exactement, résidant rue de la procession dans le XVème arrondissement) tapés le… 16 septembre 1984. Un des papiers carbone a également servi à la saisie d’un courrier adressé au n° 1 de la rue Bischofstrasse à Cologne (le reste en illisible).

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Je compte bien me lancer dans la réparation et l’entretien, et si tu connais, ami lecteur, des personnes touchant leur bille en réparation de machines à écrire, manifestes-toi !

Un cordial bisou en Elite tapé à la main sur une machine de 1950 : Swag Trouzemille.

Un cordial bisou en Elite tapé à la main sur une machine de 1950 : Swag/10.

* Bon, pour le titre, j’ai pas trouvé d’hommage à la Lettera 22, alors je me suis rabattue sur ce qu’il y a de mieux en la matière.

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50 nuances de gris intrinsèque

16 Oct

Eigengrau. C’est le nom de la couleur que discerne l’œil lorsque règne l’obscurité totale. Et c’est de l’allemand. Ce n’est pas Eigenschwarz, mais Eigengrau. Il ne fait donc pas tout noir lorsqu’il n’y a aucune lumière, il fait tout gris. Il ne fait pas #000000, mais il fait #16161D. Tu peux l’appeler auto-gris aussi si tu le souhaites.

Eigengrau Bäbä

« Noir c’est gris »

De multiples questions se posent :

1) de quand date cette découverte ?

2) comment est-il possible qu’un mot allemand ait été choisi pour ce phénomène optique (et soit resté le mot d’usage consacré) ?

3) ai-je le droit de vouer un culte éternel à ce mot (que j’ai déjà rangé à côté de mon autre mot allemand préféré : Eitelkeit) ?

Vous avez 3 heures.

Violence gratuite pour tous

6 Oct

Approchez, approchez ! N’ayez crainte : l’UTLS, il ne faut pas en avoir peur. Derrière cet acronyme se cache une anomalie, une curiosité exotique, une bête de foire qui ne demande qu’à être apprivoisée.

l’UTLS, c’est une initiative :

1. gratuite. Je précise : « gratuite » comme dans « zéro euro ».

2. qui, au lieu de s’arrêter en 2001 comme prévu, fut victime de son succès et perdure donc depuis (à un rythme ralenti par rapport au projet initial. D’une conférence par jour pendant toute l’année 2000 (soit 366 conférences), il est passé au format de « cycles »).

3. dont le fruit est mis à disposition des internautes, gratuitement une fois de plus.

Clique ici si tu veux tout savoir sur l’Université de tous les savoirs !

Du lundi 16 au dimanche 29 septembre s’est donc déroulé le cycle 2013 de l’UTLS, dont le programme placardé dans le métro n’aura pas manqué de mettre la puce à l’oreille des fins limiers que nous sommes.

Le thème : la violence aujourd’hui. Il suffisait pour s’en rendre compte de prêter attention aux 3 « !!! » sur le programme.

Programme : La violence aujourd'hui

Filtre appliqué : effet papier qui a traîné une semaine au fond du sac

L’univers : les couvertures de polars, les scènes de crime, les Esspères, NCIS, tout ça.

Une sale histoire

«Les yeux barrés de noir»

Le lieu du crime : les bancs de l’amphithéâtre Binet de l’université René Descartes

Le modus operandi : c’est la 1ère fois il me semble que l’UTLS communique d’une manière aussi musclée. Ce n’est pas un hasard si, durant les semaines passées, son nom est revenu plusieurs fois dans les conversations. Des témoins ont assuré qu’à la photocopieuse comme au café, on parle des conférences comme d’une potentielle sortie « culturelle » qu’on aimerait se caler sous peu. Et peu importe si ça se termine souvent par « oh non, c’est déjà fini ?! oh dommage, j’aurai trop aimé y alleeeeer ». Mon enquête a conclu que l’effort a fonctionné : encore un coup de la comm’.

Pour les besoins de l’investigation, je me suis donc rendue à l’une des ces conférences. Oui Monsieur, oui Madame !

Le mobile : il faisait pas hyyyper beau ce dimanche là.

Les armes :
– une bonne copine ;
– un bloc-note ;
– un stylo.

Studieuses

Note pour plus tard : penser à ramener une petite bouteille d’eau la prochaine fois. Comment se fait-il qu’on ne trouve pas un seul point d’eau digne de ce nom à l’université René Descartes ? Je suis scandalisée !

Au programme du dimanche 22 septembre : « Juger la violence » et « Violence et humiliation » dont les 63 minutes peuvent être visionnées et téléchargées en cliquant sur le site de l’UTLS.

Les suspects : Paul Valadier (Juger la violence) et Olivier Abel (Violence et humiliation), tous deux philosophes et théologiens.

Gniiiii : je découvre avec joie et précipitation qu’Olivier Abel a partagé l’intégralité de son intervention au format texte. Olivier, si tu m’entends : tu rayonnes à jamais dans mon cœur.

interface de téléchargement de l'UTLS

Mon dévouement ne connaît aucune limite

Les faits : sans rentrer dans les détails, voici les temps forts de chaque conférence :

1/ Si on tente de la définir, la violence est complexe et insaisissable. Elle est ce qui s’oppose à la raison. La refuser c’est retrouver une humanité partagée, qui suppose des valeurs communes. Elle n’épargne aucune institution. On ne doit pas s’appuyer sur les causes pour la justifier. On peut la faire reculer grâce au droit international. Elle exige de rester dans un état de vigilance. En sa présence on ne peut se passer de la prise de position et de la pluralité.

2/ L’humiliation prépare et engendre la violence. Humilier c’est ne pas laisser de contrepouvoir, de moyen à son adversaire de pouvoir se défendre. Elle touche à l’estime de soi et au respect d’autrui.  Elle s’étudie sur la profondeur et l’amplitude. Il serait souhaitable de créer des institutions non humiliantes (suggestion tirée de La société décente d’Avishai Margalit). Elle peut faire partie d’un processus d’intégration dans un groupe. Peut-on punir sans humilier ? L’humilité offrirait une issue à l’humiliation.

La victime : consentante, me plier à cet exercice m’a amusé, diverti et instruit. Ma curiosité est entièrement satisfaite (malgré la soif non étanchée). J’ai été heureuse de partager ce moment avec un groupe d’une 100aine de personnes (moyenne d’âge : 50 ans de plus que ce à quoi je suis habituée). La participation orale des «étudiants» a battu tous les records, on s’arrachait presque le micro. Les gens étaient d’accord, pas d’accord, les questions – comme les réponses – pertinentes et à côté de la plaque.

Note de pied de page, annexe 77 du livre 32 : comprendre la référence au titre de cet article après visionnage de la vidéo ci-dessous.